« Je conviendrais bien volontiers que les femmes nous sont supérieures si cela pouvait les dissuader de se prétendre nos égales. » Sacha Guitry
Cette phrase décrit parfaitement l’état d’esprit dans lequel je me trouvais au début de ma carrière et l’immense incompréhension dont j’étais victime en tant que femme dans un milieu d’hommes.
Tout le monde le sait et l’a dit, en a discuté avec ses amis et tout le monde est d’accord : une femme ne peut s’imposer à un poste qu’en prouvant qu’elle est la meilleure et donc que tout le monde a eu raison de lui donner ces responsabilités.
Stop !
Cette opinion si largement répandue et discutée et amplifiée ne peut qu’empirer la situation du travail féminin.
Une femme est employée par une compagnie de construction, soit un milieu d’hommes, en tant qu’ingénieure d’affaires, travail masculin s’il en est.
Avant même son premier jour, depuis sa petite enfance, puis à l’école et encore à l’université, on lui a dit qu’elle allait être mal accueillie – comment une femme à cette position ? Qu’on allait la tester – on va voir ce qu’elle vaut ! Et qu’elle n’a pas le droit à la moindre erreur – je savais bien qu’une femme ne pouvait pas faire ce travail.
Toute gonflée de ce challenge qu’elle se doit de relever, la voilà partie pour son premier jour, pleine de morgue et bien décidée à relever ce défi pour leur prouver à tous qu’elle est à la hauteur.
Résultat, toute marque de galanterie est interprétée comme autant de démonstration de supériorité, toute question ou test d’entrée est pris comme la manifestation d’un doute sur les capacités féminines. Et nous avons une femme normale qui, avec la meilleure volonté du monde, se retrouve dans une situation de paranoïa aiguë en état d’agressivité latente envers tout mâle qui ose ne pas reconnaître immédiatement les qualités indéniables de cette nouvelle employée.
Evidemment, les hommes qui attendaient ce comportement réagissent comme prévu et font ce qu’on attend d’eux – ils décident de ne pas faire de cadeaux à cette « madame je sais tout » et de ne surtout pas lui faciliter la vie, et on va voir ce que l’on va voir.
Scénario catastrophe ? Peut-être. Peut-être que mon cas est unique et que toutes les autres femmes savent instinctivement s’intégrer dans ce milieu. Moi, je n’ai pas su le faire spontanément.
Quand je suis arrivée à Parme la première fois dans le centre de formation, j’étais bien décidée à en remontrer à tout le monde et c’est exactement ce que je fis. Je soulevais les outils comme tous les autres, je ne demandais jamais d’aide pour les révisions, je travaillais aussi longtemps qu’eux, je sortais et buvais comme tout participant qui se respecte. Pourtant, je me sentais obligée d’en faire plus, je voulais prouver à tout instant que je pouvais trouver une solution aux problèmes les plus ardus.
Je cherchais à me faire accepter et respecter dans ce milieu bien que je sois une femme. Bien que.
À ce moment-là, être une femme était pour moi un « bien que ». Un homme aurait dit : je suis un homme et j’y arrive, moi, je disais : j’y arrive bien que je sois une femme.
Il me fallait combattre mes démons personnels, ces années d’éducation pendant lesquelles la société m’a rabâché qu’une femme ne peut y arriver qu’en se battant plus qu’un homme. Combattre cet inconscient qui me disait, bien que je ne l’aurais jamais avoué, qu’une femme est forcément moins compétente qu’un homme puisqu’il lui fallait démontrer un tas de choses qu’un homme n’a jamais à prouver.
Cette attitude me valut surtout l’inimitié de la plupart de mes condisciples que je traduisais comme un refus de mon état de femme indépendante et capable.
Quelques années plus tard, Tom dira à mon mari : « Magali, c’était facile, si tu n’avais pas envie de faire quelque chose, il suffisait de lui dire qu’elle n’en était pas capable… »
Comme beaucoup de gens, je n’aime pas me sentir rejetée d’un groupe et cette expérience de Parme, sans être tout à fait traumatisante – nous avions vraiment trop de travail pour nous apitoyer sur nous-mêmes – me permit de faire un certain nombre de réflexions sur ma situation particulière.
Je me suis remise en cause en me disant qu’ils avaient très certainement tous tort, mais peut-être y avait-il une possibilité minuscule et complètement improbable que le problème vienne de moi.
Quand je retournai au Nigeria, après cette période désagréable, je décidai de changer d’attitude et de m’imposer autrement. Après tout, on dit aux hommes depuis si longtemps qu’ils sont bien meilleurs que les femmes à ce genre de métiers que les aborder de front n’est certainement pas la bonne méthode. Cela ne peut que créer un esprit de compétition qui n’est franchement pas nécessaire à la bonne marche des opérations.
La conclusion de mes réflexions fut que les hommes acceptent très bien qu’une femme soit intelligente, même éventuellement plus qu’eux – du moment qu’ils ne doivent pas se marier avec – mais que la vaste majorité refuse toute concession quant à la force physique.
Pourtant, les fragiles représentantes du sexe faible sont habituées à porter à bout de bras pendant plusieurs heures un poids d’une dizaine de kilos. C’est l’exploit quotidien que toute mère réalise sans obtenir de médaille.
Du jour de mon retour à Warri, je n’ai pratiquement plus jamais porté un outil, sauf évidemment urgence. Si je dois soulever un poids lourd, je me positionne correctement à côté, en adoptant la position de sécurité, jambes fléchies et buste droit, puis je fais un essai infructueux et j’appelle immédiatement à l’aide un homme qui passe par là et qui se précipite pour aider cette faible femme dans le besoin. L’ego de ces messieurs s’en retrouve tranquillisé et mon dos est préservé. Tout le monde y gagne et je fais maintenant partie intégrante d’une équipe.
Cette démarche peut sembler un peu exagérée, mais c’est l’étape que je devais franchir pour réussir à repositionner mes rapports avec les hommes. J’ai ensuite pu adopter une attitude plus modérée.
Quand je dois faire face à une situation délicate, je me demande évidemment ce qui a pu la provoquer. Je me dis que c’est l’âge, la nouveauté, mon fichu caractère ou les circonstances présentes et c’est seulement lorsque j’ai épuisé toutes les autres possibilités que j’accuse le sexisme. L’ultime test est de se demander comment serait accueilli un homme qui aurait exactement le même caractère, âge et expérience que moi. Le résultat est souvent que l’homme serait confronté à la même situation.
J’ai été testée quand j’ai repris la base après la maladie soudaine du chef. Est-ce qu’ils ont essayé d’évaluer mes limites, parce que je suis une femme ? Possible. Mais vous en connaissez beaucoup d’hommes de vingt-cinq ans qui arrivent de nulle part pour diriger une base d’une centaine de personnes et dont l’autorité est acceptée d’emblée alors qu’ils n’ont aucune expérience du métier et qu’ils doivent diriger des professionnels de vingt ans leur aîné ?
Donc, va-t-on me dire, vous essayez de nous faire croire qu’une femme qui travaille sur une plate-forme n’a pas plus de problèmes qu’un homme ? Non, je déclare qu’elle a la vie plus facile qu’un homme.
Le responsable du centre de formation avait raison. Le comportement des hommes sur la plate-forme change en ma présence, néanmoins, pas comme il le pensait. Ils ne se mettent pas sur leur trente et un et ne se rasent pas quotidiennement pour honorer cette présence féminine qui arbore le même bleu de travail qu’eux, à part peut-être le premier jour. Ils deviennent des paons qui font la roue devant une femelle. Il y a donc surenchère des services que ces hommes sont prêts à me rendre.
Jamais je ne dois attendre pour avoir l’usage de la seule grue du rig. Le mécanicien est toujours volontaire pour venir réparer mes équipements, l’électricien pour connecter ma radio et le cuisinier pour mijoter des petits plats après les heures de repas. Cette affluence de services n’est pas donnée en l’attente d’une récompense quelconque à laquelle certaines lectrices ou certains lecteurs pourraient penser en ce moment même, mais tout simplement, car c’est un moyen de faire preuve de civilité et de galanterie envers la seule femme qu’ils aient l’occasion de côtoyer pendant un mois.
Il serait vraiment sacrilège de tout gâcher par une attitude féministe et égalitaire.
Le plus beau compliment que j’ai reçu pendant cette période vient d’un autre ingénieur qui me dit à la fin d’une mission : « C’est agréable de faire équipe avec toi, tu es la première femme avec qui je travaille qui ne cherche pas à me démontrer qu’elle est meilleure que moi. »
De Parme, je suis sortie convaincue que je pouvais faire le travail demandé, et même bien le faire ; je n’ai donc plus rien à prouver puisque mon juge le plus sévère, moi-même, est content de moi. Alors je me sens bien dans mon job ainsi que dans mes relations avec mes supérieurs et mes collègues. Je suis foncièrement convaincue de ma légitimité dans cette base, je ne donne à personne l’opportunité de la remettre en question, car c’est un fait établi et par définition indiscutable.
J’ai alors cherché à développer ma féminité. Les témoins de cette époque riraient bien en lisant ces lignes, car j’étais encore et toujours dans ma période pantalon et la féminité chez moi ne s’est jamais traduite par des tenues frivoles ou sexy.
Mais je mettais un peu de mascara le soir et je remplaçais même les baskets par des chaussures.
Je me suis souvent mise dans des situations indélicates à cause de mon franc-parler et de cette pulsion qui me rend prête à tout risquer pour un bon mot.
Je préfère être entouré d’une équipe restreinte mais compétente et motivée, souvent composée de personnes considérées comme difficiles à gérer, car elles ont un caractère et des opinions bien trempés.
Quand David et moi avons parlé de faire notre vie ensemble, nous avons comme tout couple qui décide d’un projet commun, discuté de nos priorités. Nous voulions bâtir une famille. Nous avons réfléchi sur la place du travail, de la famille et de l’équilibre à atteindre pour mener une vie dans laquelle nous nous sentons bien. Je refuse de sacrifier mon foyer à mon métier, mais je sais aussi que je finirais par reprocher à ma famille de sacrifier ma carrière.
Sauf que nous avons deux carrières internationales à gérer en simultané ! Sachant qu’il serait très difficile pour David de trouver un emploi en France, et que l’option retour à la maison n’est pas envisageable. D’ailleurs où est la maison ? Nous abordons là un autre problème, celui des couples de nationalités différentes, compliqué par le fait que les pays se trouvent aux antipodes.
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20 ans ont passé depuis ces lignes. 20 ans pendant lesquels nous sommes repartis à l’étranger (il fallait s’y attendre.). J’ai mené ma barque de femme qui mène une carrière tout en ayant une vie de famille avec deux enfants.
Mais pour ces aventures, vous devrez attendre le prochain livre ou vous pouvez aller sur mon blog et lire les articles que j’écris sur les femmes dans l’industrie !
Ils ont lu La Pétroleuse :
« Je l’ai dévoré en quelques heures sous l’œil ébahi de mon chéri. C’est un témoignage simple, poignant et votre personnalité est très attachante. »
« J’ai lu votre livre avec passion. Toute mesure gardée – le génie de l’écriture de Céline est unique – ce livre m’a fait penser à ‟Voyage au bout de la nuit”, certainement mon livre préféré. On retrouve un style direct, à la première personne, du vécu, et ça se sent ! Ce sont vraiment des livres qui donnent envie de vivre, de surmonter toutes les difficultés et de parvenir à réaliser ses rêves. »
« Au-delà de l’histoire d’une femme partie bille en tête prouver à elle-même et au monde entier qu’elle pouvait faire ‟comme les hommesˮ bien qu’elle n’en soit pas un, et qui en chemin découvre que c’est surtout contre elle-même qu’elle combat, je lis la construction d’une identité, d’une philosophie de vie dans la tolérance et le respect… Et l’acceptation de ce qu’elle est, une femme, point. Ni plus, ni moins que les autres. »
« On assiste pendant cette lecture qui fait défiler de nombreuses années à l’évolution de votre personnalité qui se nourrit d’une observation de chaque instant pour toujours mieux faire, mieux être et mieux vivre avec vous et avec les autres. »
« Ce récit est bien trop humain ou universel pour n’être que féminin. C’est une lecture agréable tant par un contenu intéressant que par une langue populaire qui se prête assez bien au récit des tribulations d’une jeune adulte qui se cherche et veut délimiter son MOI par rapport aux AUTRES. »