Chapitre 7 – Une page se tourne

Il est sept heures quand j’arrive à mon nouveau travail. J’ai vraiment eu du mal à me lever si tôt, pour traverser la ville et être à l’heure. Jamais au cours de ma courte carrière ou de ma vie étudiante, je n’ai commencé si tôt.

J’arrive avant Gérard, le chef de base, et je l’attends en visitant les installations. Le yard est grand avec des bureaux faits dans des containers recyclés. Cela me change des bâtiments relativement luxueux de mon ancienne base. Ici, nous sommes plutôt dans le style installations temporaires de chantier. Des engins en panne attendent devant l’atelier de mécanique, le tout dans un sympathique désordre typiquement français, à mi-chemin entre la casse et les ateliers qui bordent les routes. Au point que David doute du sérieux de cette compagnie. Il est sûr que le retour au système D français va me changer.

Il y a une centaine d’ouvriers nigérians et deux expatriés qui m’observent. J’imagine qu’ils ne voient pas souvent de femmes ici et qu’ils doivent se demander qui je peux bien être.

Mon titre est ingénieure projet et assistante au chef de base.

Mais il faut que je dise quelques mots sur Gérard. De vingt ans mon aîné environ, il respire la force tranquille. Sur place depuis des années, c’est un véritable pilier qui connaît tous les rouages du pays et qui a créé un énorme réseau pouvant ainsi anticiper les crises locales fréquentes.

D’après ce que j’ai compris, je dois pouvoir remplacer Gérard quand il part en vacances, c’est-à-dire tous les trois mois, mais surtout dans quelques semaines et je dois en parallèle m’occuper des petits chantiers de Warri, relations clients et autres projets.

Pour l’instant, c’est plutôt confus, je sais que je rejoins l’industrie parapétrolière et que les projets concernent des installations de surface destinées au traitement et au stockage du pétrole brut. On y construit des réseaux de tuyaux, des réservoirs métalliques ou d’énormes machines qui permettent de séparer le pétrole du gaz et de l’eau. L’autre partie de l’activité concerne les travaux de maintenance de la raffinerie de Warri, laquelle se situe à moins de 500 mètres des bureaux. Nous servons également de base logistique pour tous les gros projets du pays, pour lesquels nous assurons un stockage de pièces et d’outillages divers pour les dépanner. Enfin, nous abritons l’atelier mécanique principal et les engins reviennent ici pour leur révision annuelle ou pour réparation majeure.

Mon prédécesseur a été nommé sur un nouveau projet à l’autre bout du pays. Pour le remplacer, ils ont besoin de quelqu’un qui parle anglais, connaît bien le pays et surtout la culture nigériane.

Heureusement que j’ai cela pour moi, car pour ce qui est du travail proprement dit, les seules soudures que je n’ai jamais vues remontent à mon stage ouvrier, à la fin de ma première année d’école d’ingénieurs. J’avais fait quelques vaines tentatives et mes efforts s’étaient soldés par des baguettes collées et des trous dans la tôle devant un atelier hilare.

Gérard me fait visiter sa base, me présente aux travailleurs dont j’oublie les noms aussi vite. Il m’explique que j’aurai la charge des petits chantiers qui ne demandent pas d’équipe dédiée et sont gérés directement par la base. Cela me semble excitant d’être responsable de projets suffisamment petits pour que je puisse me faire la main avant d’attaquer les choses sérieuses. Nous partons visiter l’après-midi même le seul chantier d’importance. Il se situe à Ughelli, à une demi-heure de route de Warri. Nous devons réhabiliter quatre gros réservoirs, qui font 48 mètres de diamètre et 18 de haut. Les travaux viennent tout juste de commencer sur le dernier. Une équipe d’une trentaine de personnes y est basée.

Le lendemain, le chef de projet nigérian en charge décide de démissionner, je ne saurai jamais s’il est plus vexé de ne pas avoir reçu la direction du projet ou d’être dirigé par une femme. Le résultat est que je me retrouve à diriger un chantier sans aide et sans avoir la moindre idée de ce que je dois faire. Je vais devoir m’appuyer sur Gérard.

Deuxième coup dur de la semaine, le chef d’équipe camerounais qui contestait mon autorité depuis le premier jour démissionne également. Il aimait sa situation particulière de « traducteur » auprès des expatriés. Mon arrivée le ramène au rang de tout le monde, car je ne lui confère aucun avantage dû à sa langue. Il ne le supporte pas longtemps.

Tout va donc pour le mieux, heureusement que personne ne se préoccupe réellement de ce chantier qui dure depuis quatre ans au lieu des deux du planning initial et sur lequel je suis la troisième manager. Du moment que j’arrive à le finir sans trop faire de remous, tout ira bien avec ma direction. La partie la plus difficile est clairement le relationnel client – un gros pétrolier européen. Je retrouve un classeur plein de lettres de réclamation de sa part. Espérons que mon charme féminin me permettra d’améliorer la situation.

En fait, je ne crains réellement que l’épreuve locale, mais cela est le domaine réservé de Gérard.

Le vendredi suivant, alors que je termine péniblement ma première semaine, crevée de me lever si tôt et d’absorber ce monde nouveau, Gérard a un malaise au bureau. Il rentre chez lui se faire examiner par l’infirmière hongroise qui s’occupe de nous. Il n’y a pas d’antenne médicale à Warri. Une bonne médecine préventive, une infirmière sur place mariée à un Nigérian qui soigne tous nos bobos, un bon système d’évacuation d’urgence, et voilà ! Pour le reste, on croise les doigts et on se dit que, jeune et en bonne santé, il n’y a pas de raison de stresser ! Elle lui ordonne le repos complet, un régime sans graisse, sans alcool ni cigarette, au lit et c’est uniquement parce qu’il doit quitter le pays dix jours plus tard qu’elle ne le renvoie pas en France tout de suite.

ça, c’est de l’adaptation, à peine cinq jours en doublé et je suis lâchée toute seule à l’épreuve du feu. Jusqu’à présent, l’ampleur de la tâche me paraissait acceptable grâce à la présence de Gérard, je sais maintenant que je ne pourrai plus compter que sur moi. Heureusement, je peux encore le retrouver le soir pour lui demander conseil sur les décisions à prendre ou me rassurer sur celles que j’ai dû prendre sans son avis. Je dois faire face à toutes les difficultés rencontrées à diriger une base de cent vingt personnes, qui varient entre les problèmes personnels qu’on me raconte en larmoyant dans le bureau, les problèmes des chantiers dont nous assurons la logistique, les problèmes qui surgissent sur mon propre chantier, les problèmes avec les clients à Warri et enfin les problèmes purement liés au rythme de la base.

Je travaille sans relâche et je me demande si les ouvriers acceptent vraiment d’être dirigés par une jeune française de 25 ans, débarquée de nulle part et clairement peu expérimentée dans ce domaine.

La réponse ne se fait pas attendre. Le lundi soir, tous les ouvriers quittent la base à dix-sept heures quarante-cinq au lieu de dix-huit heures. Je le remarque tout de suite, évidemment. Le premier moment de colère passé, je me rassieds pour réfléchir à l’attitude à adopter dans un cas pareil. Ce n’est pas grand-chose 15 minutes, mais ce n’est pas un hasard, il s’agit bien d’un test d’entrée pour évaluer dès le premier jour les limites de mon autorité. Je ne dois pas faire appel à Gérard si je veux une chance de l’asseoir cette fameuse autorité dès maintenant.

Le chef du service de sécurité, qui est entre autres chargé d’ouvrir la grille, est assez âgé et je suppose qu’il fait partie des meneurs de troubles de la base. Dans la société nigériane, l’âge est souvent un gage d’autorité et de niveau hiérarchique.

Je vais le voir et lui demande innocemment pourquoi tout le monde a quitté la base si tôt, sans ma permission.

Il me répond que les ouvriers ont décidé de partir et qu’il n’y peut rien. La preuve, il est resté, lui. Nous savons tous les deux que je ne peux pas prendre une sanction collective sans me retrouver avec une grève générale sur les bras.

C’est le moment de tenter un coup de bluff. Il faut que cela marche ou je me prépare des journées à venir très pénibles.

Je lui demande : – Mais qui a ouvert la grille ?

  • Moi
  • Pourtant, il était trop tôt, est-ce que je t’en avais donné l’ordre ?
  • Non, mais les ouvriers étaient dans les bus, prêts à sortir.
  • Il me semble pourtant que c’est moi et non eux qui paye ton salaire. Tu me confirmes que tu travailles bien pour moi ?

Il abhorre maintenant un air embarrassé. Qui se transforme en inquiétude quand je lui dis que je le considère comme personnellement responsable de l’heure de sortie des bus. Dans ma grande mansuétude, je passe l’éponge pour cette première fois, car je n’avais peut-être pas été suffisamment claire dans mes instructions, mais la prochaine fois qu’il ouvrira la grille avant 18 heures, il recevra une lettre d’avertissement. À la deuxième, il sera renvoyé. Inutile de dire que cela ne s’est jamais reproduit.

J’ai ainsi le droit à un certain nombre de tests d’entrée, que je passe avec plus ou moins de succès, mais dont je tire quelques leçons : je m’efforce de prendre des décisions justes après avoir pris le temps de peser le pour et le contre, de respecter ma parole donnée, de réprimer les erreurs, mais de récompenser les bonnes actions et de savoir reconnaître mes méprises, sans pour autant faire preuve de faiblesse.

Enfantin, n’est-ce pas ? Surtout quand on sait qu’on est assis sur une poudrière appelée susceptibilité qui ne demande qu’à exploser à la moindre maladresse.

En attendant, les nouvelles de Gérard ne sont pas bonnes, il a dû suivre une série de tests intensifs en France. Résultat, un problème de foie, maladie classique d’une vie de tous les excès. Son retour n’est pas prévu avant longtemps. Et ce qui ne devait être qu’un remplacement de vacances s’officialise en douceur.

Quand cette nouvelle nous parvient, je panique un peu. Suis-je vraiment à la hauteur de cette tâche ? Didier me donne sa confiance, mais il n’a pas vraiment le choix. Je suis sur place et il n’a personne de disponible pour le moment. Aussi, il me promet son soutien et me demande de faire l’essai. Si vraiment je craque, alors on avisera… Mais ce serait bien de ne pas craquer. Pour le moment, je tiens. Pour combien de temps ? Je ne sais pas. Tant qu’il n’y a pas de problème grave, ça va. Je travaille de très longues heures, car tout est nouveau pour moi, mais ce n’est qu’une question de volonté et d’énergie. Et je n’en manque pas !

Dans mon job précédent, je me contentais de gérer mon équipe de 2 personnes. Je ne m’occupais de rien d’autre et il me reste beaucoup à apprendre sur la mentalité locale. Sauf que je n’ai plus le temps et je m’initie dans la difficulté à travers des expériences qui monopolisent chacun de mes neurones et sont des challenges quotidiens pour mes nerfs.

J’ai parfois l’impression d’avancer sur un fil au-dessus d’un précipite, sans entraînement préalable. Heureusement que mon fichu caractère me soutient, je ne baisserai pas les bras si vite.

Par exemple, je me rends compte très rapidement que les Nigérians sont très forts pour utiliser les arguments qui font mouche. Ainsi, un jour j’avise que le peintre nous vole. Il est chargé de tous les petits travaux de peinture de la base, aussi bien dans les bâtiments que sur les véhicules et autres engins. Petit détail, il commande systématiquement le double de peinture nécessaire pour la tâche à effectuer. Je valide mon observation avec un peintre français et réussi à remonter sur plusieurs années de vol. La somme en jeu est rondelette et la faute justifie le renvoi. Confronté, il a même avoué ses malversations. Je me retrouve alors avec un pauvre hère, à genoux, sanglotant dans mon bureau. Je prends une grande respiration, et j’arrive à garder mon sang-froid. Même si je sais qu’en le virant, je mets cet homme et sa famille dans une situation difficile, je reste inflexible. Céder sur ce point, alors que j’ai réussi à démontrer qu’il escroquait la base depuis si longtemps, serait la porte ouverte à tous les abus : « Autant en profiter puisque si on est pris, on peut l’amadouer en pleurant un peu. » Il y a cent vingt millions de Nigérians, beaucoup au chômage ou sous-employés et je préfère sortir de la misère quelqu’un qui est courageux et honnête plutôt que garder quelqu’un qui vole, ment ou refuse de travailler. Cette théorie me soutient dans les moments difficiles.

J’acquiers rapidement une certaine notoriété sur tout le Nigeria où je gagne le surnom de dame de fer, en référence à une autre dame qui opère à Londres, ou même parfois Mamangida en l’honneur du dictateur Babangida. L’avantage de cette réputation est que je n’ai plus à prouver mon autorité, les nouveaux sont prévenus avant même de me rencontrer.

J’espère seulement qu’ils ne me considèrent pas juste comme une main de fer, mais qu’ils ont compris que j’ai à cœur également d’œuvrer de manière équitable pour le bien de tous. Est-ce vraiment un âge 25 ans pour être comparée à un tyran ? Même si David est là pour partager mes doutes et mes questions, me dire qu’il croit en moi et que derrière cette réputation se cache une personnalité, c’est parfois lourd à porter. Heureusement, le rythme de la base ne me permet pas de passer trop de temps à intellectualiser ce que je suis en train de vivre. Je le ferai plus tard et un jour, peut-être, j’écrirai mes mémoires.

!

Je suis de plus en plus à l’aise dans mon rôle. Je travaille toujours beaucoup, les employés donnent l’impression de m’avoir à moitié acceptée, y compris les expatriés de la base. Sans compter le personnel des chantiers avec qui je communique quotidiennement et que je rencontre parfois quand ils passent par Warri à l’occasion de leur départ en congé ou juste pour passer un week-end en ville.

Justement, un Français malade vient à Warri se faire examiner par l’infirmière, accompagné par un jeune homme, Franck. Ils arrivent le samedi soir et après avoir organisé la venue de l’infirmière, je les autorise à garder un chauffeur toute la nuit au cas où l’état du patient, bien que non-inquiétant, empire.

Lundi, le chauffeur vient se plaindre, car Franck refuse de lui signer ses heures supplémentaires, argumentant que le chauffeur aurait passé une grande partie de la nuit à faire le taxi dans les rues de Warri. Vérifications faites, il semble que le chauffeur ait demandé l’autorisation de s’absenter pour prévenir sa famille, ce que Franck n’aurait pas compris vu son niveau d’anglais sommaire.

Je donne raison à l’employé et ordonne à Franck de signer la feuille d’heures avant de partir faire mon tour habituel sur le yard. Un peu plus tard, alors que je retourne vers les bureaux, je croise le chauffeur qui sort en hurlant, en se tenant la tête. Je ne sais pas ce qui se passe, mais je m’attends à de gros ennuis. Mon premier réflexe est d’enfermer Franck dans mon bureau, certainement l’endroit le mieux protégé de la base. Il s’avère que la discussion s’est envenimée, le chauffeur a attrapé Franck par le col, lequel a pris peur et l’a aspergé de gaz lacrymogène.

Je dis à Franck de ne pas bouger et de n’ouvrir à personne d’autre que moi pendant que je vais aux nouvelles. La base est en effervescence, les ouvriers pensent que Franck a projeté de l’acide (c’est une tradition locale) et que le chauffeur est devenu aveugle. Ils réclament vengeance.

Je ne sais pas ce que cela veut dire, mais je ne tiens certainement pas à le découvrir trop vite ! Je parviens à prévenir l’armée – avec qui j’entretiens d’excellents rapports et dont le baraquement se situe à quelques centaines de mètres – et bientôt un petit détachement arrive qui permet d’extraire Franck sous escorte.

Nous nous précipitons à l’aéroport. Je réussis à lui trouver une place dans le premier avion en partance sur Lagos. Pour le moment, il est en sécurité. Il ne réalise pas vraiment à quoi il vient d’échapper et semble principalement concerné par sa valise, restée au chantier. Je le rassure sur le sujet. Après tout, moi, il ne me reste plus qu’à retourner affronter les travailleurs furieux d’avoir vu leur proie leur échapper.

Quand je reviens, la révolte gronde. Je n’en mène pas très large. Je me plante au milieu du groupe en colère et tente de les apaiser en leur disant que Franck a quitté le Nigeria, mais que je m’assurerai personnellement qu’il sera puni de son attitude et licencié* (*ce qui fut fait). Un autre problème m’attend. Le supérieur de la caserne est ulcéré que ses troupes aient pu aider à libérer un étranger qui a agressé un Nigérian. Il n’a pas tout à fait tort en l’occurrence, imaginons un instant la même situation en France !

Je passe le reste de la journée à calmer tout le monde.

Plus tard, en réunissant les affaires personnelles de Franck, on retrouvera tout un arsenal de guerre (poing américain, couteau de lancer, nunchaku… Etc.). Il est heureux qu’il soit reparti sans avoir provoqué une plus grande catastrophe. Finalement, tout est bien qui finit bien et je sors de cette aventure plutôt grandie aux yeux du personnel local, ayant donné raison à un des leurs plutôt qu’à « un des miens ».

Cependant, elle me sert également de leçon. Au nom de mes sacro-saints principes, j’ai absolument tenu à ce que ce soit Franck qui signe la feuille d’heures, suivant la règle que j’avais moi-même établie. J’aurai peut-être pu éviter tout cela en la signant moi-même cette fichue feuille et en laissant Franck retourner à son chantier et à sa bêtise. Est-ce que tout cela en valait vraiment la peine ?

Quelques semaines plus tard, nous dormons profondément quand, un jeudi, à 5 heures du matin, on frappe violemment à la porte de notre chambre. Un chauffeur attend David. Il y a une urgence. Un puits a explosé dans la nuit. Le pire cauchemar du monde du pétrole vient d’arriver. Heureusement, il s’agit d’un puits à terre et il n’y a pas eu de blessés. La compagnie pétrolière fait appel à toutes les forces vives du pays. Et là, tout va très vite. L’équipe de Red Adair (le fameux pompier de l’extrême qui a éteint les puits du Koweït après la guerre Irak-Koweït) est sur place dès le lendemain et demande qu’on remplisse d’eau une cuve naturelle de cent mètres de diamètre, la rivière se trouvant à sept kilomètres de là. Avec David, je peux suivre le projet de très près et je vais offrir mes services dès le vendredi après-midi. Je pars sur le site le samedi matin. C’est impressionnant.

Tout ce que le Nigeria compte d’engins de chantier semble être concentré ici, sans oublier ceux qui sont arrivés en avion. En quarante-huit heures, ils ont creusé une tranchée de dix mètres de large depuis le puits jusqu’à la rivière, sept kilomètres plus loin.

Notre responsabilité, si nous l’acceptons, sera de construire trois petits pipelines pour ramener l’eau jusqu’à la cuve, en quelques jours, mobilisation immédiate. Le samedi soir, j’ai enrôlé dix soudeurs et un chef d’équipe qui partent directement sur le chantier. Le dimanche matin, les dix soudeurs de la relève sont à pied d’œuvre. Nous sommes à deux heures de route de la ville et je dois organiser en catastrophe le logement, la nourriture et le transport de nos troupes dans les petits villages avoisinants qui n’ont certainement pas l’infrastructure adéquate pour accueillir une telle foule. Nous sommes obligés d’utiliser le système de la bannette chaude, l’équipe de nuit dormant dans les lits de l’équipe de jour. Mon chef d’équipe Français parle très mal anglais et je dois traduire ses instructions à chaque relève. On tire à vue, mais on y arrive. Je passe le plus clair de mon temps sur le chantier, la base doit se débrouiller pour tourner toute seule. Je dors peu, mais l’aventure est belle. Et dix jours plus tard, c’est déjà terminé.

On va enfin pouvoir se reposer.

Je suis dans mon bureau, je finis de payer très grassement les soudeurs avant de les laisser repartir vers leurs chantiers respectifs. Ils viennent me demander l’autorisation de rentrer chez eux – la plupart sont originaires de Warri – déposer leur argent. Je leur accorde deux heures. Ils restent plantés là ; apparemment, ils veulent autre chose. Enfin, ils se décident à me demander la pièce pour payer le taxi jusque chez eux. Ils ont entre les mains l’équivalent de deux mois de salaire d’un ouvrier moyen pour quelques jours de labeur et ils réclament encore ! Je me lève, les toise et leur jette : « Je pensais que les soudeurs étaient des Messieurs, mais vous parlez comme le plus petit clerc. Je me suis trompée, vous êtes des petits mecs. Je vais vous donner la pièce. »

Le silence est pesant. Je viens tout simplement d’insulter vingt paquets de muscles irascibles, dans mon bureau. Comme d’habitude, c’est après avoir parlé que je me demande si c’était prudent ! Je les entends dire, écœurés : « Laisse tomber, on n’obtiendra rien d’elle » lorsque qu’ils quittent mon bureau. Ouf !

Chaque petite victoire me conforte dans l’impression que je suis bien à ma place ici. Didier avait peut-être raison de me faire confiance après tout. Je travaille plus de 80 heures par semaine et je continue à découvrir ce métier au quotidien, avec toujours cette impression d’avancer sans filet, frôlant la catastrophe en permanence.

Au bout de trois mois à ce rythme, je demande des vacances. Didier est un peu réticent, il préférerait attendre le retour de Gérard, mais je suis au Nigeria depuis 7 mois sans interruption et j’ai véritablement besoin de repos. Avant, je faisais des jobs interminables, passant des journées sans dormir. Mais une fois rentrée, je pouvais me reposer tout mon soûl sans aucun souci. Maintenant, je suis de plain-pied dans le monde des responsabilités et des gens qui dorment mal la nuit. Hors de question de juste « éteindre » mon cerveau à la fin de la journée. Résultat, je suis épuisée.

Finalement, nous nous mettons d’accord sur une pause de deux semaines. David et moi rentrons en France avec l’intention de commencer les préparatifs du mariage.

Nous revenons au Nigeria à peine après l’avoir quitté, du moins, c’est l’impression que j’ai. Nous avons passé notre temps à visiter les châteaux et autres traiteurs nécessaires à tout mariage qui se respecte.

Ces deux dernières semaines sont passées tellement vite que je n’ai jamais réussi à complètement me déconnecter de ma base.

Le Test grandeur nature a lieu le 19 décembre.

Depuis quelques jours, la base est en effervescence à l’approche des fêtes de Noël – le Sud du pays où nous nous trouvons est catholique au contraire du Nord majoritairement musulman.

Les travailleurs réclament une prime supérieure à celle négociée dans le contrat. Le comptable a essayé de me duper, profitant de mon ignorance pour tenter de me faire signer ce fameux supplément. J’avais commencé par accepter avant de découvrir le pot aux roses, juste à temps pour faire marche arrière. Maintenant les ouvriers se disent spoliés.

Avant d’aller travailler ce jour-là, J’ai un mauvais pressentiment. . Je demande à David de venir aux nouvelles dans la journée, au cas où. À peine la barrière d’entrée franchie, une délégation menée par mon copain, le chef de la sécurité, vient me demander, officiellement cette fois, une augmentation de prime. Que je leur refuse ! Réaction immédiate : « Démission en masse ».

Ma réponse : « – Très bien, allez-y et je pourrai partir en vacances. – Bon, on va discuter, en attendant personne ne quitte la base. »

Je suis prise en otage avec les deux expatriés de la base et trois autres Français qui passaient par Warri avant de rentrer en France le lendemain.

Première action, ils coupent le groupe électrogène et donc l’électricité. Ce n’est pas dramatique de perdre la climatisation, mais il faut absolument garder le contact avec le monde extérieur. Je règle ce problème en récupérant une batterie de voiture pour connecter la radio. Me voilà transformée en Mc Gyver. Cette petite victoire me donne un sentiment de confiance dont je vais bien avoir besoin pour aborder les heures qui viennent. Je peux enfin appeler Bruno, à Port-Harcourt (quatre heures de route) et le mettre au courant de la situation. Bruno est le manager résidentiel, avec qui je communique habituellement. Didier, lui, habite en France. Je n’ai pas le droit de céder, car si j’emploie une centaine de personnes, il y a plus de mille ouvriers locaux dans le pays. La nouvelle d’une augmentation à Warri parviendrait très vite aux oreilles des autres sites qui devront s’aligner. Cette histoire pourrait nous coûter une fortune. Et surtout, je refuse de céder sous la menace.

Soutenue au bout du fil par Bruno, j’ai décidé de ne payer qu’en dernier recours. C’est-à-dire pour sauver ma vie, s’ils investissaient les bureaux. Même au nom des principes, j’estime que mon humble vie vaut plus que les quelques centaines de nairas en question ! Les négociations reprennent et durent toute la matinée sans plus de résultat.

Austin, l’employé de bureau en charge des photocopies et du café, m’assure du soutien indéfectible de ses cinquante kilos. Me voilà rassurée ! En fin de matinée, quand David vient me voir, je ne peux pas sortir. J’envoie Austin lui dire que la situation n’est pas encore critique. Je garde le contrôle… Pour le moment.

Vers midi, nous mangeons dans notre petite cantine pendant que les ouvriers jeûnent. Ils ont fermé la base et ne peuvent ou ne veulent pas sortir déjeuner. Cependant, ils boivent et très rapidement l’effet conjugué de l’alcool et du manque de nourriture les rend expansifs.

Les travailleurs deviennent menaçants et s’en prennent à moi, disant aux autres expatriés qu’ils sont libres de rentrer chez eux puisque c’est moi la « patronne ». Je n’en mène pas large et heureusement que l’un de mes collègues, vieux routard de l’Afrique, est là pour me soutenir, car les autres m’adjurent de céder avant que cela dégénère. Bravo les supers aventuriers.

À ce moment précis, tout en donnant l’impression de rester calme dans la tempête, je serai prête à tout donner pour pouvoir d’un coup de baguette magique, me retrouver dans un bureau à Paris. Mon royaume pour un hélicoptère ! Mais ma marraine la fée m’a abandonnée et je ne peux compter que sur moi-même.

Je cherche à joindre David, mais il est parti déjeuner et l’opérateur radio de sa base ne semble pas capable de le contacter ni de lui transmettre un message. Les ouvriers tapent sur les murs des bureaux avec leurs outils, le bruit est infernal, la tension à son paroxysme et je commence à avoir franchement peur, mais je ne cède toujours pas.

Combien de temps vais-je tenir dans ces conditions ? Attendre qu’ils envahissent les bureaux, mais ne sera-t-il pas trop tard à ce moment-là ? Jusqu’où puis-je aller avant le point de non-retour ? Et là, pas de bouquin, pas de cours d’école pour référence, juste mon bon sens et mon feeling. Mais est-ce vraiment du bon sens ou moi qui suis trop têtue pour mon propre bien ? Quelle voix me dit la vérité ? Comment la reconnaître ? Mais, là, il va falloir se calmer avant de faire une crise de nerfs devant tout le monde et perdre tout le crédit d’autorité que j’avais réussi à gagner en quatre mois. Retomber dans la catégorie petite femme fragile, quelle victoire !

Vers quatorze heures, David vient aux nouvelles. Je lui envoie un S.O.S, toujours à travers Austin. Ça chauffe ici, il est temps d’aller chercher l’armée pour me sortir de là. C’est la solution de recours quand on a épuisé toutes les autres. Je me sens soulagée, car je sais que ma libération n’est plus qu’une question de minutes.

Mais les heures passent et David ne revient toujours pas. Je continue à négocier en attendant. Je sens enfin qu’il y a quelques flottements de l’autre côté. Les travailleurs ne sont plus si solidaires. C’est le moment que je choisis pour faire savoir que le comptable paiera immédiatement toute personne qui accepte le bonus négocié. Cette idée de l’argent frais les attendant fait réfléchir les plus modérés.

Une heure plus tard, David n’est toujours pas là, mais les ouvriers défilent dans les bureaux pour empocher leur prime et rentrer chez eux. J’ai gagné !

Quand David arrive, il est seize heures et tout le monde a été payé. Je suis sortie des bureaux et m’apprête à partir, devant la foule silencieuse des ouvriers. C’est le moment que David choisit pour débarquer avec deux pick-ups remplis de soldats armés jusqu’aux dents. Les ouvriers s’énervent et me crient de ne pas revenir sous peine de représailles pendant que les soldats veulent en tabasser un ou deux pour l’exemple. Je me mets au milieu et arrive à calmer les esprits. Nous partons enfin.

David a beaucoup tardé à rassembler les forces de l’armée qui étaient parties assurer la sécurité d’un gouverneur supposé inaugurer un bâtiment pas encore construit. Il a eu beaucoup de mal à les convaincre de le suivre. Je demande quand même à deux soldats de rester de fraction devant ma maison cette nuit, au cas improbable où ils décident de mettre leurs menaces à exécution.

Avant de rentrer, je passe à la guest-house boire un verre avec les cinq expatriés qui s’envolent le lendemain. Ils ne sont pas fâchés de partir et ont du mal à présenter un air compatissant devant moi qui reste. Ils me conseillent de me faire oublier quelques jours avant de retourner à la base.

David est du même avis qu’eux. Cependant, ne pas y aller signifierait avoir peur d’eux et subséquemment leur donner ma victoire.

Nous arrivons à un compromis, David me déposera lui-même et ne me laissera sortir de la voiture que si les soldats sont présents.

Les soldats sont là et David me laisse descendre. Quand je fais ma tournée matinale, tout le monde est à son poste, les ouvriers ont commencé et m’accueillent comme si de rien n’était. La journée se déroule sans incident. Hier n’a jamais existé ! J’adore cette vie : on s’affronte, on fait la guerre, mais le gagnant est le gagnant, et on passe à autre chose.

Les soldats surveillent la base pendant quinze jours supplémentaires sans aucun incident à signaler. Cette journée de grève a consacré définitivement mon nouveau statut incontesté de « Patronne de la base ».

Maintenant que tout est rentré dans l’ordre, c’est le moment de comprendre ce qui a pu provoquer le conflit. Le comptable est à l’origine du malentendu, ayant intentionnellement tenté de me faire signer un bonus erroné. J’examine ses livres à la loupe. Il ne me faut pas longtemps pour réaliser que profitant de mon inexpérience et de ma méconnaissance des noms des ouvriers, il a créé un employé fictif et empoche le salaire depuis plusieurs mois. Il doit partir. Mais comment le changer ? Et surtout comment préparer son remplacement sans lui mettre la puce à l’oreille et lui donner l’opportunité de voler une somme plus importante ? Dans l’équipe administrative, un employé, Gabriel, semble avoir le potentiel requis. Pendant les deux mois qui suivent, je le forme en le faisant passer pour l’assistant du comptable – il est débordé le pauvre homme. Quand il a acquis les bases, je le mets dans la confidence et trouve un prétexte pour l’envoyer finaliser sa formation à Lagos auprès du responsable administratif du pays.

Pendant ce temps, je surveille le comptable et revois scrupuleusement tout papier qu’il me fait signer, mais je ne le confronte pas. Je ne suis pas prête. Le jour du retour de Gabriel, je licencie le comptable. J’ai tout préparé, la prime, la lettre de licenciement, et autres papiers qui permettent de nous assurer qu’il ne nous attaquera pas. Je l’ai trop souvent vu faire sur des chantiers où nous devons régulièrement réembaucher des personnes licenciées pour une faute grave impossible à prouver au tribunal, par manque de constat de police. Le tribunal se trouvant à Warri, je coordonne les efforts de notre avocat et je suis bien placée pour savoir qu’il vaut mieux payer une prime de licenciement à une personne qui ne la mérite pas que devoir la remployer avec les excuses quelques mois plus tard !

Je reste avec le comptable pendant qu’il ramasse ses affaires pour m’assurer qu’il n’en profite pas pour prendre de l’argent.

Je me fais remettre toutes les clefs avant de l’accompagner jusqu’à la porte.

Gérard n’est toujours pas rentré et on m’annonce la venue du PDG de la société dans quelques semaines. C’est l’effervescence. Didier me donne carte blanche pour nettoyer la base. Je profite de l’occasion pour enfin lui donner un coup de neuf et y apporter la touche féminine dont elle a besoin.

Je me débarrasse de toute la ferraille et autres engins en panne qu’on garde pour les pièces détachées, dans un terrain à part, loué pour l’occasion. Finit le look de casse d’engins de chantier. Je transforme un container en salle d’archives afin de vider les bureaux engorgés, je repeins toute la base, change le linoleum… Etc. Le plus dur est de changer les mentalités. Archiver pour nettoyer les bureaux, quelle idée saugrenue. Mais c’est donnant-donnant. Seuls les bureaux rangés seront repeints. Et cela marche. Enfin, la base commence à ressembler, de loin, à la filiale d’un groupe international. L’idéal serait évidemment de pouvoir construire des bureaux en dur et d’asphalter le yard, mais les résultats sont tout à fait satisfaisants avec le peu de moyens à ma disposition. Notre système de référence quant à l’aspect général des bureaux est rapidement faussé ici, entourés que nous sommes d’entreprises locales qui fonctionnent avec des petits moyens.

Je suis soulagée quand finalement Gérard revient, cinq mois après son départ. Cinq mois pendant lesquels j’ai maintenu la base à bout de bras. Mais son réseau nous a manqué, surtout la partie contacts avec les syndicats, qui permettent d’anticiper les mouvements de grève et de négocier les accords ouvriers.

À son retour, les directeurs de projet se mobilisent pour que je sois maintenue dans mes fonctions. Ils apprécient particulièrement ma rapidité de réaction. Sauf exception, toutes leurs demandes sont satisfaites, les pièces partent avec la prochaine navette (trois fois par semaine). Je ne leur pose pas de questions, je ne tergiverse pas, j’agis. Mon expérience dans une société de services dans le pétrole m’a appris que chaque minute compte en projet. Gérard est alors promu directeur des quatre bases du Nigeria quand je reste en charge de celle de Warri. Pour de bon, cette fois.

Les changements que j’ai introduits dans la base, mes passages en force, le contrôle des dépenses, l’arrêt de certains trafics qui prospéraient et le renvoi de personnes ne m’ont pas créé que des amis. Je gêne. Huit mois après mon embauche, je reçois par la poste une lettre anonyme, manuscrite, à l’encre rouge, de menace de mort.

J’ai un mois pour quitter le pays. Sinon…

Je prends cette lettre très au sérieux, j’attendais une réaction de leur part. David récupère de nos amis libanais, un fusil qui élit domicile sous notre lit, à mon grand déplaisir, je déteste les armes à feu. Chaque jour, je change de chemin et d’heure pour aller au bureau. Je décide toujours au dernier moment de l’itinéraire et n’en informe mon chauffeur, en qui je n’ai pas particulièrement confiance, qu’une fois qu’il a commencé à rouler. Je ne sors plus le soir et je mène une vie d’ascète : Maison – Bureau – Maison. Hier MacGyver, aujourd’hui James Bond. Je ne demande pourtant qu’à être moi.

Après deux semaines de ce rythme, je suis épuisée nerveusement. Je soupçonne tout le monde. Je ne sais plus en qui faire confiance. La paranoïa me guette quand Gérard m’annonce enfin qu’il a découvert les auteurs de la lettre. Il leur a parlé et tout danger serait maintenant écarté. Je ne saurai jamais qui sont les auteurs de cette aimable plaisanterie, mais j’ai suffisamment confiance en Gérard pour être rassurée.

Je ne peux m’empêcher de continuer à observer les alentours quand je prends la voiture, mais bientôt tout cela n’est plus qu’un mauvais souvenir et nous rendons enfin le fusil à son propriétaire.

En dehors de ce détail, mes rapports quotidiens avec les employés sont plutôt bons et ma condition de femme ne pose aucun de problème. La seule personne qui refuse absolument mon autorité est un Français, proche de la retraite qui me reproche d’avoir instauré des règles trop strictes sur la base. Du moins, trop dures à son égard. Les procédures sont les mêmes pour tous les employés, expatriés et locaux confondus et il n’arrive pas à accepter de ne pas bénéficier d’un régime de faveur dû à sa couleur de peau. Il faut dire qu’il occupe un bureau sur la base, mais ne me rapporte pas hiérarchiquement.

Un jour, nous avons une altercation assez violente. Au cours de la dispute, je lui déclare que je suis seule maître(esse) à bord et que le PDG lui-même devrait respecter MES règles s’il venait sur MA base.

J’ai gagné pour cette fois, mais j’apprendrai par la suite qu’il a usé de son influence à Paris pour tenter de me faire partir, sans succès. Je ne suis jamais allée au siège et je n’y connais personne, mais je bénéficie heureusement du soutien indéfectible de Didier.

Je rencontrerai assez régulièrement cette attitude d’expatriés qui ne conçoivent pas que je ne leur donne pas systématiquement raison et que je tiens à juger équitablement tout conflit entre un Français et un Nigérian. Ma manière de faire a au moins pour effet de me faire respecter par les travailleurs locaux et de préserver ma conscience.

Mon statut de femme m’aide à développer de très bonnes relations avec les clients même s’ils sont un peu déstabilisés quand ils me rencontrent pour la première fois. Cela est également l’occasion de quelques quiproquos.

Un jour, je suis dans mon bureau à discuter avec un Français de la base. Un expatrié inconnu arrive dans le bureau et s’adresse à mon collègue, sans me jeter le moindre regard. Il a dû penser que j’étais un pot de fleurs parlant. Le Français me jette des coups d’œil désespérés, car sa connaissance de la langue de Shakespeare est très limitée et il se noie dans les paroles de notre visiteur. Moi, je me contente d’observer la scène en rigolant intérieurement. Au bout de quelques minutes, notre visiteur réalise qu’il y a un malaise et j’interviens finalement : « – A qui voulez-vous parler ? – Au chef de base – Dans ce cas, je crois que vous vous êtes trompé d’interlocuteur. En quoi puis-je vous être utile ? » La tête qu’il fait à ce moment-là vaut toutes les vexations sexistes. Notre visiteur s’en va la queue entre les jambes et je ne connaîtrai jamais la raison de sa venue.

La vie sur la base pourrait être simple et la routine agréable s’il n’y avait ces évènements inopinés qui mettent du piment dans le quotidien tout en le compliquant formidablement.

Samedi 19 juin 1993, six heures du matin, aéroport Charles De Gaulle, mon avion vient d’atterrir. Je saute dans un taxi, direction la maison de papa. Samedi prochain, je me marie. Et voilà, c’est dit. Une semaine pour me faire belle et enterrer ma vie de jeune fille.

Tout est prêt, nous avons réservé notre « château » pendant nos congés de novembre. Les invitations, la visite médicale et la paperasserie sont faits depuis les congés de mars, ainsi que les essayages finaux de la robe avec interdiction de changer de taille pendant trois mois !

Que c’est compliqué de se marier avec un étranger en France ! Nous avons besoin d’un tas de papiers bien français, qui n’existent pas en Nouvelle-Zélande et dont il a fallu trouver les équivalents avant de les faire traduire. Sans parler du traducteur officiel que nous avons dû employer chez le notaire pour que les papiers soient valides. La prochaine fois, je me marie à un Français.

Donc tout est prêt, du moins nous l’espérons, car nous n’avons plus le temps de changer quoi que ce soit. Il ne me reste plus qu’à passer la semaine entre l’institut de beauté et les visites guidées de Paris avec les beaux-parents.

Nous avons prévu une assez petite cérémonie avec environ trente-cinq personnes dont une quinzaine d’anglo-saxons afin maintenir un certain équilibre entre les rosbifs et les mangeurs de grenouilles.

Le passage à la mairie est cocasse. David ne comprend pas un mot de français. Je lui explique que Monsieur le Maire va le regarder, prononcer son nom puis le mien au milieu d’une longue phrase. David n’aura plus qu’à dire oui.

Le reste du mariage est bilingue et nous avons mélangé les traditions de nos deux pays pour en faire une cérémonie hybride qui fait le bonheur de tous. Surtout le nôtre, d’ailleurs.

Après un mariage de princesse, une lune de miel romantique à l’île Maurice en compagnie de la moitié des lunes de miélans de la terre, nous repartons au Nigeria. Cela commençait presque à nous manquer, les plages paradisiaques n’ont pas le charme incomparable de Warri !

Nous sommes mariés maintenant, nous avons le droit à une maison juste pour nous et nous sommes invités ensemble aux fêtes officielles.

J’ai changé de nom, le courrier arrive avec des initiales que je ne me reconnais pas encore et j’ai passé quelques heures à peaufiner ma nouvelle signature ! Cow-boy dans ma base, mais midinette pour mon mariage. Tout un pan de ma personnalité que je découvre ainsi.

Nous nous installons dans une maison neuve, inaugurant le nouveau camp au milieu des travaux inachevés (c’est pratique, je n’ai pas l’impression de quitter la base.) et la douce lumière romantique des bougies qui sied bien à notre jeune couple, mais qui remplace surtout l’électricité défaillante en attendant le futur groupe électrogène.

Globalement, notre vie ne change pas, nous continuons avec nos compagnies respectives, lui à partir sur le rig régulièrement, et moi à surveiller ma base et mes chantiers. Nous sortons toujours beaucoup et maintenant nous avons une maison que nous avons aménagée avec les moyens du bord certes, mais où nous nous sentons chez nous. Notre foyer.

Nous organisons notre vie entre le travail, les tournois de golf pour David, la piscine pour moi, le squash pour nous deux et la vie sociale en couple.

Fin janvier 94, alors que nous rentrons d’un mois de vacances en Nouvelle-Zélande, David apprend que son séjour au Nigeria s’achève immédiatement. Le pétrole est dans un cycle descendant et les économies sont de rigueur, entraînant des grosses coupes de budget surtout du côté des expatriés. David est mis au chômage technique en attendant une nouvelle position. Décidément, les vacances néo-zélandaises ne nous portent pas chance professionnellement.

David reste à Warri où il goûte à la vie d’époux à la maison et joue quotidiennement au golf en compagnie d’une ribambelle de femmes d’expatrié esseulées, heureuses de l’aubaine. Mais je ne suis pas jalouse ! Je m’assure juste que tout le monde a bien compris qu’il est mon mari, jeune marié, amoureux et fidèle et que je suis capable de mordre toute personne qui tenterait de prouver le contraire. Il ne tient pas longtemps à ce rythme, avant de décider de partir en France et de profiter de son inactivité forcée pour étudier ma langue.

Au total, il sera resté trois ans au Nigeria, quand j’entame ma cinquième année. Notre groupe d’amis s’étiole, la plupart ont déjà quitté le pays. Je me sens isolée.

David recevra son affectation quelques semaines plus tard avant d’avoir pu vraiment améliorer son français. Il part aux Philippines et reviendra passer ses vacances à Warri. Dans la catégorie « preuves d’amour », il met la barre très haut ! Et je continue à le retrouver, après une dure journée de labeur, au bar du Golf, entourée de toutes « ses » femmes.

Pour moi, la vie continue, la base ne se soucie guère de mes tribulations de jeune mariée au mari trop souvent absent. J’en ai vu d’autres, ce n’est qu’un mauvais moment à passer et les retrouvailles sont si belles.

Mes efforts ont enfin porté leurs fruits, je viens de décrocher un contrat avec la raffinerie. Tous ces appels d’offres auxquels j’ai répondu, toutes ces visites client que j’ai pu faire n’ont pas été vaines. Nous devons démonter tout un réseau de tuyauteries aux formes tarabiscotées, les re-fabriquer et les remonter à l’identique. J’appelle Paris et leur demande de me trouver un chaudronnier expérimenté pour cette mission qui s’avère délicate.

Quand Pierre arrive, nous venons tout juste de mobiliser les troupes. Il est très énergique et il semble formaté pour cette mission.

Cependant, j’ai très rapidement des doutes, il démonte l’existant et le copie comme on calque un dessin pour le refaire. Pour cela, il utilise des feuilles métalliques qu’on roule et coupe pour leur donner la forme voulue. Je suis surprise de ne pas le voir calculer ses angles de découpe et je trouve le résultat plutôt bizarre et pas très déontologique, même pour des yeux aussi peu avertis que les miens.

Je sollicite le jugement de Gérard à l’un de ses passages sur la base. Il me confirme que la manière de travailler de Pierre est assez peu orthodoxe. Nous appelons le chaudronnier qui a déjà œuvré à la remise en service de cet équipement. Je m’arrange avec son chantier pour qu’il soit libéré pour me donner un coup de main. Claude arrive sur la base et regarde les pièces préfabriquées d’un air désespéré. Le projet est plutôt mal engagé. Claude me confirme qu’il va pouvoir reprendre certaines pièces, mais que nous devrons utiliser celles déjà finies, car nous n’avons plus assez de matière première.

Toutefois, les jours passent et nous sommes déjà très en retard sur le planning. Beaucoup trop en tout cas pour nous permettre de nous passer de l’aide de Pierre. Nous avons besoin de toutes les bonnes volontés pour essayer de rattraper ce bazar.

Le renvoyer en France serait la solution de facilité, mais il va maintenant falloir me débrouiller pour qu’il reste, accepte de passer en seconde position tout en restant motivé. S’il n’a pas le profil d’un chef de chantier, son énergie et sa bonne volonté en font un bon ouvrier. Je sais qu’il est soulagé de l’arrivée de Claude, mais il n’est certainement pas homme à accepter de perdre la face, surtout devant une femme.

Je ne vois pas d’autre solution que de tout assumer. J’« avoue » l’avoir induit en erreur en lui ordonnant de tout refaire à l’identique. La faute à mon manque d’expérience ! Et maintenant, nous sommes en retard. En conclusion, nous avons besoin de l’aide de Claude et je lui demande de bien vouloir le laisser diriger vu sa séniorité. Inutile de dire que nous sommes tous les deux soulagés, lui de s’en sortir la tête haute et moi de le voir rester. Même si je rage intérieurement ! Si on m’avait dit qu’un jour, je serais capable de faire preuve de tant d’abnégation, sans témoin, qui plus est. Je savais que c’était la seule solution pour avoir une chance de sauver le projet.

Et puis tous ces problèmes me semblent mineurs, j’ai maintenant une vie privée qui requiert la plus grande partie de mon attention et je relativise. Aujourd’hui je viens d’avoir le résultat du test, il a fallu attendre six semaines, il n’y a pas de pharmacie ici. C’est pour début décembre, du moins d’après mon estimation hasardeuse.

Je le garde pour moi, David n’est pas là et je veux qu’il soit le premier à apprendre la nouvelle. Je ne change rien à mes habitudes, je continue à sortir régulièrement. J’ai complètement arrêté de boire et de fumer, ce qui ne passe pas inaperçu et provoque beaucoup de questions de la part de mes fréquentations. J’ai mis au point une réponse infaillible : « Mon nouveau comportement si raisonnable est dû à un pari avec David, pour lui prouver qu’il est à l’origine de tous mes vices. » Ce pari ne semble surprendre personne. On me croit apparemment assez excentrique pour cela.

Je continue à nager, j’arrête le squash et le peu de course à pied que je faisais encore. Je ne grossis pas pendant les premiers mois. Je n’ai pas de livre pour m’expliquer les transformations qui s’opèrent en moi, pas de mari pour me soutenir moralement, pas de mère ni de copine pour me donner de conseils et pas plus de docteur pour me rassurer sur mon état. Et comme cela ne se voit pas encore, on ne me pose pas de questions.

Le seul médecin local que j’ai vu a mis la main sur mon ventre, puis m’a regardée intensément pour enfin annoncer d’un ton solennel que tout était en ordre. J’étais repartie tout à fait rassurée ! Heureusement, tout se passe bien pour le moment et j’écris mon journal pour la première fois depuis l’âge de douze ans, avec l’intention de mêler David au début de l’aventure même à distance.

Et mes hormones me jouent des tours. Je deviens très irritable. Mon sens de l’humour est réduit à son expression minimale et je fonds en larmes à la moindre remarque désobligeante. Mon sens de la répartie habituel a disparu. Je finis malgré tout par élire un ami au titre honorifique de confident. Lui, le célibataire endurci se retrouve embarqué dans des discussions passionnantes sur le choix du prénom. Important, le choix du prénom. Et compliqué. Très grosse responsabilité.

Un soir, pendant le dîner, je reçois un coup de téléphone de mon père. Un coup de téléphone de France est une chose suffisamment rare pour que mes sens soient en alerte avant même qu’il commence à parler :

«– Est-ce que David a réussi à te joindre des Philippines.

  • Non, pourquoi ? Un problème ?
  • Je ne sais pas, je n’ai rien compris à ce qu’il me disait. Je crois qu’il m’appelait d’un hôpital. Je ne sais pas ce qu’il a. J’ai juste réussi à noter son numéro. »

Et Patatras ! Moi qui pensais être plus forte que les autres et réussir à faire un bébé toute seule, je me retrouve en pleurs, hébétée devant le combiné, incapable d’aligner mes pensées, et les jambes flageolantes. Une seule idée en tête, lui parler. J’échafaude les pires scénarios dans lequel le bébé dans mon ventre serait orphelin avant même de naître d’un papa qui serait mort sans même se douter de son existence.

Je regrette de ne rien avoir dit à David. Est-ce bien là la Magali, supposée pouvoir affronter toute situation sans défaillir qui se retrouve à sangloter, incapable de faire le moindre mouvement ?

Je finis par reprendre mes esprits et saute dans la voiture, à moitié aveuglée par mes larmes, pour me précipiter chez des amis qui disposent en l’objet d’un téléphone international, du bien le plus précieux à mes yeux à cette minute.

Je leur explique vaguement que mon mari est à l’article de la mort dans un hôpital perdu au fin fond des Philippines et tente désespérément d’obtenir la ligne. Une heure et vingt mouchoirs plus tard, j’y parviens enfin, et j’entends Sa voix. Il semble que tout aille bien, une mauvaise gastro-entérite qui ne voulait pas guérir serait à l’origine de son évacuation. Tout ça pour une bonne diarrhée !

Et là, je craque. Entre le soulagement et la frustration de ne pas être avec lui, je lui annonce qu’il va être papa. Exit la soirée romantique aux chandelles au cours de laquelle je devais lui annoncer la grande nouvelle, sur fond de violon, les yeux dans les yeux afin de capter chacune de ses réactions. Tant pis, cela se fera au téléphone, à huit mille kilomètres, depuis la maison de demi-étrangers, le maquillage complètement ruiné par ma simili crise nerveuse.

Finit le secret, la nouvelle a fait le tour des bars, et je peux enfin me relâcher et jouer mon nouveau rôle de femme enceinte.

C’est le moment que choisit Didier pour me parler du renouvellement de mon contrat. Il ne peut pas le renouveler une fois de plus en statut temporaire et doit maintenant le transformer en contrat à durée indéterminée avant la fin du mois. J’hésite à lui annoncer l’heureuse nouvelle. Va-t-il signer mon contrat ? Si proche du but, que dois-je faire ?

Je demande conseil à Bruno et lui explique mon dilemme. Ce dernier me rassure sur la valeur de mon travail. « Si l’activité baissait au point de renvoyer l’ensemble des expatriés, tu ferais partie des trois derniers à rester. » Il a trouvé les mots qu’il fallait.

Finalement, je décide de jouer la carte de la confiance et demande à rencontrer Didier à son prochain passage. Le dialogue qui s’instaure est irréel :

« Moi : – Didier, j’ai une grande nouvelle à t’annoncer, je suis enceinte.

  • Félicitations, c’est pour quand ?
  • Début décembre.
  • Et quand dois-tu arrêter de travailler ?
  • Comme je n’ai pas le droit de prendre l’avion après le septième mois, je dois quitter le Nigeria fin septembre au plus tard.
  • Et que comptes-tu faire ensuite ?
  • Je ne sais pas. Je ne retournerai pas au Nigeria. Je refuse de faire courir ce risque à mon bébé.
  • On fait quoi pour le contrat ?
  • Je ne sais pas. Je comprends que tu ais besoin de moi au Nigeria, mais je ne sais pas quelle utilité je peux avoir ailleurs, donc je ne vois pas quel intérêt tu as à me donner un contrat à durée indéterminée maintenant.
  • Que me proposes-tu, ton contrat est terminé depuis trois jours ?
  • Si j’étais à ta place, je m’offrirais un contrat de consultante jusque fin septembre, car tu as encore besoin de moi sur la base de Warri.
  • Et ensuite ?
  • Je ne sais pas encore.
  • Et au niveau couverture sociale et assurance, comment fais-tu ?
  • Je n’ai pas encore réfléchi au problème – encore un de mes traits de caractère qui m’a souvent porté préjudice. Ne jamais réfléchir aux problèmes avant qu’ils ne me soient tombés dessus !
  • Je pense que tu serais dans une situation assez difficile. Entre ton retour en France, la fin de ta grossesse et le reste, tu auras assez de préoccupations comme ça. En venant ici, j’avais décidé de te donner ce contrat donc je te le donne, je n’ai pas changé d’avis. »

Je ne sais plus trop quoi dire. C’est la deuxième fois qu’il arrive à me faire taire, c’est beaucoup. À compter de ce jour, pleine de reconnaissance, je serai toujours prête à donner à Didier le meilleur de moi-même.

J’en suis au cinquième mois quand je rentre en France pour quelques jours de vacances. Je fais mon premier bilan complet de santé, ma première échographie. La maman va bien, le bébé est un peu petit, ce qui n’est pas étonnant quand on considère que je n’ai pas du tout réduit mon activité sur place. J’ai enfin un livre qui m’explique tout ce que je dois savoir pour comprendre ce qui se trame au cœur de ses entrailles.

Et comme toute femme qui attend son premier enfant, ce livre devient mon bestseller du moment. Au moins j’évite les conseils de la famille ou des copines bien intentionnées !

Je profite de mes vacances pour regarnir ma garde-robe. Difficile de trouver des vêtements de chantier adaptés à mon ventre grossissant. Le caleçon est un peu trop révélateur et les robes peu pratiques dans une raffinerie. Je dois me rabattre sur les jeans de David pour le moment.

C’est la dernière fois que je prends l’avion pour le Nigeria. Il ne me reste plus que sept semaines. L’activité est moyenne et mon remplaçant est déjà arrivé. Je profite de mes derniers moments dans le pays pour faire un peu de tourisme et visiter les chantiers un peu éloignés. Je trouve le temps franchement long, sans parler de mon état de lourdeur générale et cette chaleur qui me pèse. J’ai pratiquement arrêté de sortir le soir, David n’est pas là et je n’ai plus beaucoup d’amis sur place. Je passe mes soirées à faire des puzzles. Pourtant, malgré l’insistance de Didier, je refuse de rentrer en France avant la date prévue et surtout avant d’avoir proprement remis les clefs de la base à mon successeur. Pendant deux ans, j’ai créé de toutes pièces un réseau de relations clients et je trouve dommage de gâcher ce travail de longue haleine pour gagner quelques jours. Surtout que je suis en grande forme et que rien ne peut m’arrêter même si j’ai maintenant du mal à me faufiler entre l’échelle et la cage de sécurité quand je visite mon chantier.

J’ai un peu de ventre, mais peu de gens sont au courant. Je ne l’ai annoncé aux travailleurs que très récemment. Depuis la lettre de menace de mort, je suis devenue prudente et dévoile aussi peu que possible ma vie privée. Beaucoup m’ont d’ailleurs complimentée sur cette prise de poids, signe de beauté et de richesse ici.

Les malles sont bouclées, cinq ans de vie dans cinq malles, c’est peu. J’ai fait une soirée d’adieu, liquidé le vin et autres gourmandises françaises qui me restaient.

Pas rassurée, j’organise un pot à la base, m’attendant à être sifflée par ces personnes que j’ai traitées si durement. Contre toute attente, plusieurs ouvriers prennent la parole avec un discours très flatteur à mon égard. Ils me comparent à une mère sévère qui les tance quand ils font des bêtises, mais les complimente quand ils font bien. Je suis très touchée par ces marques de respect et de sympathie et quitte la base le cœur gros. La pluie tombe à verse ce jour-là, la base est inondée. C’est la première fois que je la vois sous les eaux ! Cela me rappelle une chanson, à Yesterday.

Je suis soulagée. J’ai été heureuse au Nigeria, j’y ai rencontré mon mari et j’y ai appris deux métiers. Il est temps de passer à autre chose et ce petit être qui remue dans mon ventre, me réclame.

Chapitre 8 – Le retour de la fille prodigue